La Philosophie Yemba et la Douleur Amoureuse


Ce soir là, nous racontions et écoutions des histoires d’amour. C’elles qui me donnèrent le plus à réfléchir furent celles d’immenses déceptions en premier, ensuite celles issues d’intenses amours qui ensorcellent et encore mieux celles d’amour subis ou difficilement déclarables. Je voyais alors de malades dans un cas mais des gens très vertueux dans l’autre. Lorsque le petit groupe que nous étions eût fini de dire ses histoires, Oncle Wou Leko remarqua que, c’était un ensemble de complaintes, de douleur dont le caractère social avait des implications sur la vie. Il y vit un sujet de réflexion par la constitution en quelques textes oraux, ceux que nous venions de dire en langue Yemba, mais des textes qui n’existaient que dans la mémoire de ce peuple. Il se demanda si, par ces complaintes, Nnoh choung neh (groupe de parole) ne posait pas, en définitive, des questions sur l’état de l’âme et n’examinait pas en même temps, par ces textes et par d’autres qui peuvent être de langues écrites ou oraux, des réponses à apporter à ces problèmes.
Tout ceci donnait alors à réfléchir aux liens entre la société yemba et la douleur amoureuse, obligeait à ouvrir des perspectives au-delà de l’amour classique. Le rapport à la douleur se révélait tranquillement comme une expression particulière du rapport à la souffrance, à la mort, à la jouissance. Car en effet, ne souffre-t-on pas d’amour, ne meurt-on pas d’amour, et ne croit-on pas son bonheur au sommet de l’amour juché?
- Faisons un peut de l’esprit; le veux-tu, disait alors Keih choung Zoh à son compère Ah Joug O‘lag.
- Comment cela, faire de l’esprit, questionna Ah Joug O’lag.
- C’est, je veux dire, lui répondit amusé Keih choung Zoh, faire comme si nous avions l’esprit de synthèse; comme, si tu veux, nous avions l’esprit d’à-propos ou d’observation alors que toi et moi, nous ne nous jugeons pas ainsi.
- Quel serait alors l’intérêt d’un tel comportement, demanda Ah Joug O‘lag.
- C’est, répondit Keih choung Zoh, pour faire comme les gens du savoir et dire en toute quiétude ce qu’on leur contesterait si ces propos n’étaient pas scientifiquement connus.
- Et nous, crois-tu que ça ne nous coûtera rien, ces choses-là, dit Ah Joug O‘lag.
- Nous sommes, toi et moi, d’un village de civilisation yemba. Comme nous ne nous réclamons pas des Scientifiques et encore moins des ancêtres grecs ou romains, et que notre yemba n’est pas le latin, et qu’ainsi notre dire vient de ce que le grec et le romain ne reconnaissent pas notre civilisation, ils le prendront pour mineur alors que toi et moi la savons bien grande.
- Mais, où est alors l’intérêt, dit Ah Joug O’lag.
- Il est dans ce que les victimes de l’amour (heureux et malheureux) y trouveront d’instructif; comprends-tu?
- Veux-tu dire que la vérité est universelle mais que les instruments de sa certifications est un sujet de discorde, s’assura Ah Joug O‘lag.
- Tu sais ce que dit ton esprit et, comme je ne suis pas contrariant, je dis oui.
- Comment procédons-nous pour faire de l’esprit à ce propos, dit enchanté Ah Joug O‘lag.
- Comme il s’agit de la pensée sur la douleur amoureuse, dit Keih choung Zoh, je me demanderais, écoute-moi bien, si essayer à travers ces textes qu’on  a poétiquement dit, d’ y trouver l’existence d’un système d’idées sur la souffrance amoureuse qui établirait les fondements d’une philosophie de la douleur amoureuse Yemba serai-il un pêché ? Si, me demanderais-je encore, si on pouvait l’envisager, et si c’était possible en libre interrogateur alors, je dirais que, jeter de la philosophie dans le brasier de l’amour est le projet qu’on peut examiner au regard de la civilisation yemba.
- Toi donc; est-ce utile ? Et n’est-ce pas de la provocation ?
- Il n’y a pas de provocation ici. Je suis, je réfléchis, je sens et quand tout bourdonne dans mon esprit au point de l’exploser, j’éprouve le besoin de lever un peu le couvercle pour recevoir mon lot de mépris.
- Pourquoi dis-tu mépris ?
- Quand tu pètes en public, c’est tout en douceur. Chez toi, les murs peuvent trembler.
- Pourquoi tout incognito en public ?
- C’est le parfum que la masse doit avoir et la critique haute.
- Il n’est pas inutile une telle réflexion. La douleur amoureuse est, et nous la déclarons ainsi, un vieux symptôme, un thème en survie, une problématique philosophique sous le coup de douleur amoureuse. Il n’y a pas de science qui la ferait disparaître. Alors, il n’y a pas de science qui éradiquerait la douleur amoureuse si ce n’est la sagesse de comportement. 
- Voilà pourquoi il faut faire un peut de l’esprit. L’avenir de l’humanité s’est transformé par la technologie. L’être humain va, par amour de soi, par le désir de plaire, d’être aimé et contemplé, subir des modifications pour enlever tout ce qui est disgracieux afin de susciter le désir en éliminant du même coup une cause de la souffrance. Pour ne pas souffrir d’amour, les couples se forment ou se disloquent pour trouver, soit dans le commun, soit dans la solitude, le remède à une histoire d’amour, tel que son rajeunissement, l’accroissement de son intelligence par des moyens biologiques ou artificiels, la capacité de moduler son propre état psychologique, devient une manière de souffrir l’imperfection amoureuse et la recherche de l’abolition de la souffrance.
Or, comme la douleur physique est essentielle pour nous prévenir des dangers des infections telles que les plaies, les brûlures et d’autres bobos, notre environnement social ou familial, cadre de la survie de l'individu et de la perpétuation de l'espèce, on a en cela un contenant qui peut être influencé par nos douleurs amoureuses. La douleur amoureuse, ce mal qui abaisse le moral, plonge dans la déception et peut conduire au trépas est, sur le plan social, une alerte qui prévient des dangers, des maux qui menacent l’état psychologique. Tout se passe comme si l'espérance de vie des individus sans douleur, n’est pas acceptable. Comment alors se sentir heureux si on ne sait pas ce qu’est la souffrance? Et comment se dire bien si on ne sait pas ce que c’est que d’être « mal »? La douleur amoureuse est, peut-on dire sans crainte, à la base de la civilisation et de toute recherche sur l’éthique, l’équité, et  la justice de bien vivre.
Poser la question de la douleur amoureuse et travailler à sa disparition, c’est du même coup mettre à la réflexion, la poursuite de notre culture de l'insensibilisation, son pourquoi, le comment et ses conséquences pour l'individu, la société voire pour l'espèce yemba. A l’occasion, on doit oser penser, et se servir de sa propre intelligence, pour trouver les lumières qui peuvent inspirer toute réflexion. En cela, y-a-t-il une philosophie yemba ? Je dis oui et te  laisse chercher pourquoi.
- Connais-tu l’histoire de la douleur tout simplement ? Y-a-t-il des gens qui se sont penché sur le sujet, interrogea  Keih choung Zoh?
- Non, lui répondit Ah Joug O’lag.
- Épistémologiquement, dit avec assurance Keih choung Zoh, et comme toute autre, la douleur amoureuse est un symptôme. Derrière la théorisation qu‘on peut faire, si bien entendu on pouvait la faire, se dessinerait une vision de la société baleveng et plus largement, la société de culture Yamba dans chaque époque donnée de notre histoire.
L'histoire universelle des concepts scientifiques de la douleur est ancienne. Dans sa vérité, la douleur est un signe clinique à respecter pour Hippocrate. La vie, dans cette conception, est courte, la médecine moderne ou traditionnelle yamba considérée comme vaste, mais l'expérience trompeuse. Pourquoi ? Parce que, une occasion amoureuse peut être fugitive, une expérience subie, désirée ou non, alors, on est en face des choses  à dépasser pour le Sage, dépositaire en principe de la connaissance.
Le Sage, celui-là qui a un art de vivre supérieur, et est le modèle de vie, est à imiter. Mais, il y a un hic. C’est que, en toute chose qui touche l’amour, il est prudent, je dirai raisonnable, sensé et très sérieux. C’est le savant des choses de l’amour.
Dans la culture Yemba, la douleur amoureuse ne s’affiche pas; elle peut être discutée en famille mais confidentiellement. Lorsqu’elle est folle, la victime va au combat et peut prendre une vie.  Alors, pour l’extraire de l’extrême négativité, on l’élève au rang de la vertu.
J’ai voulu savoir comment elle était perçue dans d’autres civilisations. Comme ceci tu auras une idée de ce qui se fait dans d’autres civilisations. Tu ne tracasseras pas car dans ta croyance rien ne t’est étranger. Il est apparut que la douleur amoureuse soit, pour le christianisme une grande vertu. Pour qu’il en soit ainsi, il inverse toutes les valeurs. Alors, la douleur associée à la souffrance devient un moyen d'honorer Dieu, à qui la victime de l’amour rend grâce. La souffrance n’est plus qu’une offrande à une transcendance et devient, elle, une justification, l’existence et, dans son expression devient une exaltation.
Considérons maintenant le dolorisme, ce dogmatisme qui est également lié au pessimisme profond qui traverse le judaïsme et le christianisme. La finalité des projets est avant tout l'Apocalypse. Donc souffrir n'est qu'une mise en jambe de l'avènement de la fin des temps. Historiquement, le siècle des Lumières en France et le développement des sciences en Europe vont marquer la rupture avec l'Église. La souffrance va être écrite et publiée. La littérature se féminise, la souffrance sort de l'intime et, Mme De Staël et Julie Lespinasse se feront ses portes paroles. La souffrance conduit à la création au 18ème et au 19ème siècle dans la tradition romantique.
Au XXème siècle, le religieux s'effondre; on tait désormais sa souffrance. Il ne faut plus la montrer car elle risque de faire contagion et de déranger l'autre. Il faut garder les apparences car autrui craint notre souffrance dans un monde privé de transcendance. Alors la médecine s’en mêle, prend le relais, et développe la prise en  en charge la douleur de l'homme, corps et esprit compris, dans les centres anti-douleurs où les intervenants viennent de plusieurs disciplines. La douleur est reconnue comme une vertu universelle.
Maintenant quelle est l'épistémè aujourd’hui pour le penseur de la douleur amoureuse, la question conduit à une tentative de réponse. Le projet est ambitieux, n'est-il pas? C’est désormais ton travail, à toi le Yemba. Avant de m’en aller et te laisser ce fardeau, laisse-moi poser une question: y a-t-il un méta amoureux ?
S’il y en a un, ta réflexion doit aller au-delà de l‘amour profane, et embrasser le méta amour. Mais qu'est-ce donc que le méta amour? Pour ne pas te laisser seul avec ce fardeau, disons que dans notre esprit, c'est un néologisme constitué du préfixe Meta en grec qui signifie au-delà. La métaphysique tente une réflexion au-delà de la physique et donc une réflexion vers le virtuel au delà de la matière. L’amour un état de l’âme fait penser au salut.
La métaphysique serait alors la partie de la philosophie qui recherche les fondements premiers, comprenant en particulier l'ontologie. En philosophie, sache-le, l'ontologie est l'étude de l'être en tant qu'être c'est-à-dire, et je ne t’apprends rien, l'étude des propriétés générales de ce qui existe. La scolastique médiévale a forgé ce terme métaphysique par l'usage, donnant ainsi le sens de «au delà de l'observation scientifique » sous lequel on reconnaît désormais la métaphysique. C'est l'étude des questions fondamentales telle la question concernant l'immortalité de l'âme, l'existence de Dieu, les raisons de l'existence du Mal ou le sens de la vie (le télos), les relations entre l'âme et le corps. Aujourd'hui, la douleur amoureuse impacte les vies individuelle, des familles et des organisations. Comment vit-on cela chez les Yemba et quelle est la pensée yemba sur le sujet ? Voilà, mon ami, ce à quoi tu dois t’atteler, ton sujet de réflexion pour donner à mieux comprendre la position de la philosophie yemba sur les douleurs amoureuses. C’est maintenant ton boulot de Yemba.

Daniel Tongning
Poète & Écrivain
Paris, le O3 janvier 2012.
(Texte en cours d’écriture)

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